Aux origines du mot Stress
Le terme stress est issu du latin « stringere » qui signifie mettre en tension.
La science des matériaux s’est emparée du mot au 19ème siècle. Elle le définit comme une contrainte, qui se mesure par le rapport entre une force appliquée à un matériau et une unité de surface. Cette force produit une déformation appelée strain.
Cette « déformation » dépend à la fois de la force appliquée et du matériau auquel il s’applique, ce que nous retrouverons dans le stress humain.
Nous devons à Hans Selye, médecin et biochimiste, l’utilisation du mot stress dans le domaine médical. Selye avait mis en évidence dans un très court article publié en 1936 dans Nature ce qu’il appelait le « Syndrome Général d’Adaptation » et qu’il dénomma « stress » en 1950.
Une définition simplifiée
L’esprit humain n’est pas un matériau passif. Il dispose au contraire de moyens actifs pour affronter les stresseurs qui se présentent à lui. Les travaux et recherches en psychologie mettent en évidence que ces moyens jouent un rôle essentiel dans le processus du stress.
Une proposition simplifiée de définition du stress en psychologie pourrait être la suivante :
Le stress résulte d’une rencontre déséquilibrée entre une menace et les moyens d’y faire face.
Dans le détail :
- Il s’agit d’une rencontre: celle-ci s’inscrit dans une certaine durée ou dans sa répétition.
- Elle implique une menace: celle-ci peut être issue du monde réel, de nos représentations ou parfois de notre seule imagination.
- Elle nécessite des moyens pour y faire face : les moyens de première ligne sont apportés par la réponse physiologique de l’organisme. Ils sont complétés par de nombreuses autres ressources, mentales et matérielles.
- La rencontre est déséquilibrée: le stress en tant que résultat du processus ne s’installe que lorsque la menace excède les moyens d’y faire face.
Rôle de la durée et de la physiologie dans le stress
Dans son article princeps publié dans Nature (1936), Hans Selye décrit un Syndrome Général d’Adaptation organisé en trois phases.
- La première phase dite « réaction générale d’alarme » permet à un organisme vivant de se mobiliser lorsqu’il est exposé à une menace ou à une agression que Selye regroupe à l’époque sous le terme « divers agents nocifs ». C’est en quelque sorte la forme aiguë du stress.
- La seconde phase dite de « résistance » résulte du maintien ou de la répétition de l’exposition à la menace ou à l’agression. L’organisme semble s’adapter et ses constantes physiologiques se rapprochent de la normale. C’est la phase de chronicisation du stress.
- Lorsque l’exposition se maintient sur une longue durée, les ressources de l’organisme s’effondrent ce que Selye décrit comme la phase « d’épuisement». C’est une préfiguration du concept de burnout ou syndrome d’épuisement physique et émotionnel
Les deux éléments-clé de cette approche sont :
- La durée de l’exposition aux stresseurs qui induit des effets délétères sur l’organisme
- La physiologie de l’organisme qui sous-tend tout le processus de stress et est à l’origine de ses effets délétères.
Interaction entre menace et ressources
Un processus évaluatif
Le stress est une rencontre parce que ce ne sont pas les stresseurs qui le génèrent mais leur interaction avec un organisme qui évalue aussi bien la menace que les ressources pour l’affronter. C’est ce que postulent Richard Lazarus et Suzanne Folkman (1984) dans leur théorie de l’évaluation cognitive du stress. Selon les auteurs le processus du stress est de nature « transactionnelle ». Ils intégreront ultérieurement dans leur théorie une étape de réévaluation, liée à l’effet des actions entreprises.
L’intégration de la composante évaluative dans le processus du stress permet de rendre compte de la très grande variabilité interindividuelle de l’exposition à des stresseurs.
Aspects psychologiques des évaluations
La nature des évaluations
À propos des évaluations nous pouvons observer :
- Qu’elles ne sont pas toujours conscientes.
- Qu’elles ne sont que des représentations mentales c’est-à-dire l’idée qu’une personne se fait à la fois des menaces et des moyens dont il dispose.
- Que les évaluations de ressources et de menaces s’influencent mutuellement.
- Que l’esprit humain peut aussi « créer » ses propres menaces et ses propres ressources.
Les facteur psychologiques
Une étude de Jay Weiss (1972) avait montré que le stress était largement influencé par des facteurs psychologiques. Ces facteurs sont généralement intégrés dans les modèles explicatifs du stress ainsi que dans les échelles de mesure. Il s’agit de :
- L’imprévisibilité de la menace, qui influe sur son évaluation
- L’incontrôlabilité de la menace qui se réfère plutôt à l’évaluation des ressources
- La négativité du feedback qui influe sur l’évolution du processus
Les ressources au coeur du processus
Stevan Hobföll nous offre en 1989 une perspective particulièrement intéressante sur l’importance de l’interaction entre menaces et ressources. Dans sa Théorie de Conservation des Ressources il postule :
- que l’individu cherche à obtenir des ressources, à les conserver et à les protéger
- que le stress résulte d’une menace sur les ressources selon trois cas de figure : perte nette de ressources, menace de perte nette de ressources et insuffisance de retour sur l’investissement des ressources.
Cela l’amène à préciser et élargir la notion de ressources. Elle inclut les compétences issues des apprentissages et de l’expérience de vie, la santé, les ressources matérielles, le statut social, l’emploi, la confiance en soi, la capacité d’adaptation, la régulation émotionnelle, etc…
Ce modèle intégratif permet d’expliquer facilement quantité de situations de stress : manque de reconnaissance, perte d’emploi, divorce ou encore dans le domaine de la santé, les cancers ou les maladies chroniques.
Les effets du stress
Le stress est toujours fondé sur une réaction physiologique. Cette réaction est salutaire dans la phase d’alarme. Elle ne devient délétère que lorsqu’elle se prolonge. L’organisme semble s’adapter, pourtant à long terme cette adaptation est coûteuse. Elle perturbe durablement l’homéostasie, c’est-à-dire la capacité de l’organisme à maintenir son milieu intérieur constant malgré les variations du milieu extérieur.
C’est ce que Mac Ewen (1998) décrit avec le concept d’allostasie. L’auteur postule que l’allostasie est un mécanisme adaptatif permettant une modification durable des constantes de l’organisme. Cette modification est liée à ce qu’il appelle la « charge allostatique », générée par le stress. Lorsque cette charge est trop élevée et surtout trop prolongée, elle modifie alors les constantes à un point tel qu’elles mettent l’organisme en danger : les risques d’hypertension, diabète, infarctus, cancer ou dépression s’en trouvent considérablement augmentés.
Parmi les effets délétères du stress figurent aussi ceux liés à l’apprentissage de l’incapacité d’agir. L’organisme apprend qu’aucune action n’est possible. Il renonce à combattre et subit l’exposition au stress avec des conséquences très lourdes. Deux importants courants de travaux ont mis en évidence ces effets :
- En 1972 le chercheur en psychologie Martin Seligman théorise le concept « d’impuissance apprise.
- En 1979, le médecin et neurobiologiste Henri Laborit met en évidence le mécanisme « d’inhibition de l’action » qu’il illustrera plus tard dans le film d’Alain Resnais « Mon Oncle d’Amérique ».
Vivre avec le stress : le « coping »
Les êtres humains sont inégaux aussi bien dans l’importance de l’exposition aux stresseurs que dans les ressources dont ils disposent pour y faire face. Tous ont en commun qu’à certains moments de leur vie ils vivront des périodes de stress. Ce qui sera alors important pour eux c’est leur capacité à s’adapter à ce qu’ils vivent.
Ce « vivre avec le stress » a très bien été formulé par les psychologues anglo-saxons qui utilisent le terme de coping qui signifie : se débrouiller, s’en sortir, supporter. Les stratégies de coping sont donc les moyens déployés pour « s’ajuster » aux situations de stress. Il est possible d’agir sur quatre éléments :
L’élimination de la menace
La première possibilité est d’agir sur la menace, par exemple en l’éliminant ou en l’évitant. Cela fonctionne assez bien par exemple pour les dangers physiques ou la fréquentation de personnes toxiques. En revanche lorsque la menace est principalement issue de notre monde mental, l’évitement apporte un soulagement qui n’est généralement que de courte durée. A long terme la menace se renforce et absorbe une énergie et un temps considérables. Les phobies de toutes sortes en sont un bon exemple.
Le renforcement des ressources
Le développement des habiletés professionnelles, physiques ou sociales permet d’augmenter les ressources disponibles. Il est montré par exemple que pouvoir s’appuyer sur un bon réseau est un facteur de protection contre le stress. Une formation peut rendre les tâches plus contrôlables et donc moins menaçantes.
Le processus évaluatif
Le déséquilibre nait de l’idée que nous nous faisons tant de la menace que de nos ressources. La puissance du langage est telle que nous croyons fortement à ce que nos pensées racontent au lieu de les considérer pour ce qu’elles sont : des productions de notre univers mental. Développer la capacité à observer ses propres pensées évite de « fusionner » avec elles et permet donc d’influer sur le processus évaluatif.
La régulation émotionnelle
Quelles que soient la source et la nature des émotions, le déclenchement de celles-ci génère des réponses physiologiques innées automatiques. Si leur apparition échappe à notre contrôle, nous pouvons en revanche travailler sur ce que nous en faisons. La régulation émotionnelle est une compétence qui peut se développer. Elle amène à mieux reconnaitre ses émotions et à les accepter une fois apparues. Cette acceptation permet de ne pas « rester » dans l’émotion, ni d’éprouver des émotions secondaires ou des ruminations. L’acceptation nous évite surtout de nous laisser entrainer vers des comportements qui ne correspondent pas à ce que nous voudrions réellement faire.
Conclusion
Le stress favorise l’apparition et le maintien d’un très grand nombre de pathologies. Son coût humain et social est gigantesque.
Nous avons vu que le processus du stress, tout comme les solutions de coping sont fortement liés aux individus eux-mêmes.
Cela ne signifie pas pour autant que notre environnement ne soit pas en lui-même générateur de stress. C’est notamment le cas des conditions économiques et sociales qui fragilisent les ressources de nombreux individus et les rend souvent impuissants face aux menaces de l’existence.
C’est vrai aussi des médias et réseaux sociaux pour laquelle la seule solution valable semble malheureusement être l’évitement ou à tout le moins la modération dans l’usage.
Il existe enfin de nombreuses sources de stress dans l’univers professionnel. Les entreprises et organisations ont à la fois la responsabilité et les moyens d’agir pour les réduire. Elles peuvent développer la vigilance des managers, la prévention ou encore les interventions sur le harcèlement ou la discrimination.
En le faisant elles montreront leur respect de la Ressource Humaine et in fine réduiront nombre de coûts liés à la maladie ou à la non-performance.
Références
Cannon, W. B. (1929). Bodily Changes in Pain, Hunger, Fear and Rage. Appleton-Century Crofts 2ème edition
Hobfoll, S. E. (1989). Conservation of resources : A new attempt at conceptualizing stress. American Psychologist, 44(3), 513‑524
Laborit, H. (1979). L’inhibition de l’action : Biologie, physiologie, psychologie, sociologie. Masson
Lazarus, R. S., & Folkman, S. (1984). Stress, Appraisal, and Coping. Springer Publishing Company Inc.
McEwen, B. S. (1998). Stress, Adaptation, and Disease : Allostasis and Allostatic Load. Annals of the New York Academy of Sciences, 840(1), 33‑44.
Seligman, M. E. P. (1972). Learned Helplessness. Annual Review of Medicine, 23(1), 407‑412
Selye, H. (1936). A syndrome produced by Diverse Nocuous Agents. Nature, 138, 32
Selye, H. (1950). Stress and the General Adaptation Syndrome. British Medical Journal, 1383‑1392
Siegrist, J. (1996). Adverse health effects of high-effort/low-reward conditions. Journal of Occupational Health Psychology, 1(1), 27‑41
Weiss, J. M. (1972). Psychological Factors in Stress and Disease. Scientific American, 226(6), 104‑113.
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